L’appel de Prague pour un renouveau démocratique

21st Forum 2000 conference: Coalition for Democratic Renewal, Prague, October 2017

La Coalition pour le renouveau démocratique (CDR) est une initiative mondiale d’un groupe d’intellectuels, d’activistes et de politiciens, préoccupés par l’expansion du pouvoir et l’influence des régimes autoritaires et l’affaiblissement simultané des systèmes démocratiques de l’intérieur. La CDR a été officiellement lancée à Prague le 10 octobre 2017. Le document fondateur de la CDR est l’Appel de Prague, qui a été signé à ce jour par 180 personnes. Les signataires incluent des écrivains, des académiciens, des acteurs politiques et des activistes de la société civile connus et influents de différents pays à travers le monde. La directrice de l’organisation International Partnership for Human Rights (IPHR) Brigitte Dufour a signé l’appel et participé au lancement du CDR à Prague.

Vous pouvez lire le texte de l’appel ci-dessous.

L’appel de Prague pour un renouveau démocratique

Adopté à Prague, le 26 mai 2017

La démocratie libérale est menacée et tous ceux qui tiennent à elle doivent la défendre.

La démocratie est menacée de l’extérieur par les régimes despotiques de Russie, de Chine et d’autres pays, qui intensifient la répression au sein de leurs frontières et étendent leur pouvoir à l’international, en comblant le vide laissé par le déclin des pouvoirs, de l’influence et de l’assurance des vieilles démocraties. Les pouvoirs autoritaires ont recours aux armes anciennes du « hard power » (pouvoir de contraindre) ainsi qu’aux nouveaux médias sociaux et à un arsenal grandissant de « soft power » (pouvoir de convaincre) pour créer un ordre mondial post-démocratique dans lequel les règles des droits de l’homme et l’État de droit sont remplacées par le principe de souveraineté absolue des États.

Mais la démocratie est également menacée de l’intérieur. L’illibéralisme grandit en Turquie, en Hongrie, aux Philippines, au Venezuela ainsi que dans d’autres démocraties en pleine régression. Dans d’autres pays, même dans les vieilles démocraties, la défense de la démocratie libérale s’est érodée au cours des dernières années, surtout parmi les jeunes qui n’ont pas connu les luttes contre le totalitarisme. La foi dans les institutions démocratiques n’a cessé de décliner ces derniers temps, car les gouvernements semblent incapables de faire face aux nouveaux défis complexes de la mondialisation, les processus politiques semblent de plus en plus sclérosés et dysfonctionnels, et les bureaucraties aux commandes des institutions tant nationales qu’internationales semblent lointaines et autoritaires. À ces difficultés s’ajoutent la violence terroriste, qui a créé un climat de peur dont les despotes et les démagogues se servent pour justifier un pouvoir autoritaire et les restrictions des libertés.

Ces problèmes ont provoqué une anxiété généralisée, une hostilité à l’égard des élites politiques et un certain cynisme vis-à-vis de la démocratie (des sentiments qui ont nourri la montée des partis et des mouvements politiques anti-système). Ces sentiments ont été attisés, à leur tour, par une désinformation autoritaire, qui s’insinue de plus en plus dans l’espace médiatique des démocraties. La dernière enquête de Freedom House révèle que les droits politiques et les libertés civiles ont décliné durant onze années consécutives et, cette année, les démocraties établies, dominent la liste des pays où la liberté est en recul.

Collectivement, ces facteurs (le retrait géopolitique de l’Occident, la résurgence des forces politiques autoritaires, l’érosion de la croyance dans les valeurs démocratiques, et la perte de foi dans l’efficacité des institutions démocratiques) ont mis un terme historique au progrès démocratique et menacent d’une possible « vague contraire » de désintégrations démocratiques. Les partisans de la démocratie doivent s’unir pour mettre un terme à ce recul et afin d’organiser une coalition pour son renouvellement moral, intellectuel et politique.

Le point de départ d’une nouvelle campagne en faveur de la démocratie est une réaffirmation des principes fondamentaux qui ont inspiré l’expansion de la démocratie moderne depuis sa naissance il y a plus de deux siècles. Ces principes sont ancrés dans la croyance en la dignité de la personne humaine et dans la conviction que la démocratie libérale est le système politique qui peut le mieux protéger cette dignité et lui permettre de s’épanouir. Parmi ces principes figurent les droits fondamentaux de l’homme et notamment les libertés élémentaires d’expression, d’association et de religion ; le pluralisme politique et social ; l’existence d’une société civile vibrante qui responsabilise les citoyens à la base ; l’élection régulière de responsables politiques grâce à un processus réellement libre, juste, transparent et compétitif ; de nombreuses possibilités pour les citoyens, au-delà des élections, de participer et d’exprimer leurs préoccupations ; la transparence et la responsabilité des gouvernements, garanties à la fois par de solides pouvoirs et contrepouvoirs au sein du système constitutionnel et par la surveillance de la société civile ; un État de droit vigoureux, garanti par un pouvoir judiciaire indépendant ; une économie de marché qui est libre de toute corruption et qui offre une chance à tous ; et une culture démocratique de tolérance, civilité et non-violence.

Ces principes sont remis en cause aujourd’hui non seulement par les apologistes de l’illibéralisme et de la xénophobie, mais aussi par des intellectuels relativistes qui nient qu’une quelconque forme de gouvernement puisse être défendue comme supérieure à une autre. Bien que la démocratie soit souvent considérée comme une idée occidentale, ses plus fervents défenseurs à l’heure actuelle sont des populations de sociétés non occidentales qui continuent de se battre pour les libertés démocratiques contre vents et marées. Leurs luttes attestent du caractère universel de l’idée de démocratie, et leur exemple peut contribuer à donner naissance à une nouvelle conviction démocratique dans les démocraties avancées du monde.

Malgré sa valeur intrinsèque, la survie de la démocratie ne peut être assurée à moins qu’elle ne démontre sa capacité à aider les sociétés à relever les défis d’un monde changeant et instable. Nous avons conscience de l’anxiété et de l’insécurité profondes qui rongent de larges segments des sociétés démocratiques et sommes convaincus que la démocratie ne sera forte qu’à la condition qu’aucun groupe ne soit oublié.

Bien que la démocratie incarne des valeurs universelles, il existe dans un contexte national particulier, ce que Vaclav Havel appelait : « des traditions intellectuelles, spirituelles et culturelles qui lui donnent de la substance et du sens ». La citoyenneté démocratique, ancrée dans ces traditions, a besoin d’être renforcée et l’on ne peut permettre qu’elle s’atrophie en cette époque de mondialisation. L’identité nationale est bien trop importante pour qu’on la laisse entre les mains de despotes et de populistes démagogues.

La défense des valeurs démocratiques n’est ni un luxe ni une entreprise purement idéaliste. C’est une condition préalable à des sociétés décentes et inclusives ; le cadre du progrès social et économique pour les populations à travers le monde ; et le fondement de la préservation de la paix et de la sécurité internationales.

Une nouvelle Coalition pour un renouveau démocratique servira de catalyseur moral et intellectuel pour raviver l’idée de démocratie. L’objectif est de changer le climat intellectuel et culturel en menant une bataille d’idées fondée sur des principes, éclairée et passionnée ; en défendant la démocratie contre ses détracteurs ; en œuvrant pour renforcer les institutions de médiation et les associations civiles ; en formulant des arguments convaincants pour la démocratie libérale, qui puissent modeler le cours du débat public. Il faudra également passer à l’offensive contre les opposants autoritaires de la démocratie en se montrant solidaires des personnes courageuses qui se battent pour les libertés démocratiques, et en révélant les crimes des kleptocrates qui volent et oppriment leurs propres peuples, falsifient les archives politiques et historiques et qui cherchent à diviser et à diffamer les démocraties en place.

La Coalition sera aussi un vaste forum interactif où échanger des idées sur les meilleures méthodes pour relever les nouveaux défis complexes auxquels la démocratie est confrontée, tels que les conditions de vie stagnantes ou en déclin de nombreux citoyens, la réaction violente contre l’augmentation de l’immigration, l’essor de la « post-truth politics » (« politique post-vérité ») à l’ère des médias sociaux, et l’érosion du soutien à la démocratie libérale. Cette plateforme mondiale pourrait également prôner et promouvoir des formes d’action efficaces pour raviver la foi en l’efficacité des institutions démocratiques.

Rien ne peut excuser le silence ou l’inaction. Nous n’osons pas nous raccrocher à l’illusion de la sécurité en ces temps où la démocratie est mise en péril. La crise actuelle offre aux démocrates engagés l’opportunité de se mobiliser, et nous devons de la saisir.

Liste des signataires (en anglais)

Mike Abramowitz, USA
Sohrab Ahmari, USA
Svetlana Alexievich, Belarus
Tutu Alicante, Equatorial Guinea
Mansoor Al-Jamri, Bahrain
Maryam Al-Khawaja, Bahrain
Hajar Al-Kuhtany, Iraq
Manal Al-Sharif, Saudi Arabia
Anne Applebaum, USA
Timothy Garton Ash, United Kingdom
Shlomo Avineri, Israel
Leszek Balcerowicz, Poland
Youssef Bassem, Egypt
Paul Berman, USA
Tom Bernstein, USA
Ales Bialiatski, Belarus
Sergio Bitar, Chile
Igor Blaževič, Czech Republic
Ladan Boroumand, Iran /France
Darko Brkan, Bosnia and Herzegovina
Martin Bútora, Slovakia
Kim Campbell, Canada
Juan Pablo Cardenal, Spain
Scott Carpenter, USA
Jean-Claude Casanova, France
David Clark, UK
Irwin Cotler, Canada
Michael Danby, Australia
Frederik Willem de Klerk, South Africa
Rafael Marques de Morais, Angola
Ronald Deibert, Canada
Neelam Deo, India
Larry Diamond, USA
Nadia Diuk, USA
Han Dongfang, China
Brigitte Dufour, Belgium
Andrej Dynko, Belarus
Mustafa Dzemihlev, Ukraine
Jørgen Ejbøl, Denmark
Nidhi Eoseewong, Thailand
João Carlos Espada, Portugal
José Daniel Ferrer, Cuba
Alejandro Foxley, Chile
Francis Fukuyama, USA
Cynthia Gabriel, Malaysia
William Galston, USA
Chito Gascon, Philippines
Richard Gere, USA
Carl Gershman, USA
John Githongo, Kenya
Ana Gomes, Portugal
Leonid Gozman, Russia
Paul Graham, South Africa
Vartan Gregorian, USA
Chen Guangcheng, China
Borys Gudziak, Ukraine
Ashok Gurung, Nepal
Emmanuel Gyimah-Boadi, Ghana
Chaibong Hahm, South Korea
Barbara Haig, USA
Amr Hamzawy, Egypt
Husain Haqqani, Pakistan
Miklos Haraszti, Hungary
Robert Hardh, Sweden
Bambang Harymurti, Indonesia
Ivan Havel, Czech Republic
Szuchien Hsu, Taiwan
Carlos Fernando Chamorro, Nicaragua
Cristiana Chamorro, Nicaragua
Kinman Chan, Hong Kong
Glanis Changachirere, Zimbabwe
Anwar Ibrahim, Malaysia
Maiko Ichihara, Japan
Toomas Hendrik Ilves, Estonia
Ramin Jahanbegloo, Iran/Canada
Chee Soon Juan, Singapore
Nataša Kandić, Serbia
Vladimir Kara-Murza, Russia
Tawakkol Karman, Yeman
Garry Kasparov, USA/Russia
Mikhail Kasyanov, Russia
Janos Kenedi, Hungary
Zoltán Kész, Hungary
Maina Kiai, Kenya
James Kirchick, USA
Jakub Klepal, Czech Republic
Bernard Kouchner, France
Ivan Krastev, Bulgaria
Enrique Krauze, Mexico
Péter Krekó, Hungary
Vytautas Landsbergis, Lithuania
Walter Laqueur, USA
Arthur Larok, Uganda
Nathan Law, Hong Kong
Sook-Jong Lee, South Korea
Bernard-Henri Lévy, France
Mario Vargas Llosa, Peru
Bálint Magyar, Hungary
Anar Mammadli, Azerbaijan
Myroslav Marynovych, Ukraine
Radwan Masmoudi, Tunisia
Penda Mbow, Senegal
Stjepan Mesić, Croatia
Adam Michnik, Poland
Ivan Mikloš, Slovakia
Emin Milli, Azerbaijan
Carlos Alberto Montaner, Cuba
Davood Moradian, Afghanistan
Manuel Cuesta Morúa, Cuba
Yascha Mounk, USA
Alina Mungiu-Pippidi, Romania
Surendra Munshi, India
Igor Munteanu, Moldova
Joshua Muravchik, USA
Ahmad Farouk Musa, Malaysia
Dino Mustafić, Bosnia and Herzegovina
Moisés Naím, Venezuela
Ghia Nodia, Georgia
Andrej Nosov, Serbia
Wai Wai Nu, Burma
Ayo Obe, Nigeria
Ana Palacio, Spain
Šimon Pánek, Czech Republic
Zygis Pavilionis, Lithuania
Rosa Maria Payá, Cuba
Latinka Perović, Bosnia and Herzegovina
Andrei Piontkovski, Russia/USA
Marc Plattner, USA
Jerzy Pomianowski, Poland
Thitinan Pongsudhirak, Thailand
Rodger Potocki, USA
Arch Puddington, USA
Vesna Pusić, Croatia
Xiao Qiang, China/USA
Sam Rainsy, Cambodia
Aziz Royesh, Afghanistan
Jacques Rupnik, France
Walid Salem, Palestine
Gabriel Salvia, Argentina
Sima Samar, Afghanistan
Maia Sandu, Moldova
Elizardo Sanchez, Cuba
Yoani Sánchez, Cuba
Oscar Arias Sánchez, Costa Rica
Lilia Shevtsova, Russia
Karel Schwarzenberg, Czech Republic
Slawomir Sierakowski, Poland
James Smart, Kenya
Timothy Snyder, USA
Uffe Riis Sørensen, Denmark
Ambiga Sreenevasan, Malaysia
Daniel Stid, USA
Tamara Sujú, Venezuela
Borys Tarasiuk, Ukraine
Vladimir Tismăneanu, USA/Romania
J. S. Tissainayagam, Sri Lanka
Jon Ungphakorn, Thailand
Rostislav Valvoda, Czech Republic
Franak Viacorka, Belarus
Alexandr Vondra, Czech Republic
Christopher Walker, USA
George Weigel, USA
Leon Wieseltier, USA
Joshua Wong, Hong Kong
Samuel Kofi Woods II, Liberia
Jeta Xharra, Kosovo
Jianli Yang, China/USA
Richard Youngs, United Kingdom
Leyla Yunus, Azerbaijan
Yevgen Zakharov, Ukraine
Svitlana Zalishchuk, Ukraine
Yevgeniy Zhovtis, Kazakstan
Philip Zimbardo, USA
Min Zin, Burma
Michael Žantovský, Czech Republic